Que se passe-t-il en fin de vie d’une ferme éolienne ?

Déconstruction d’une éolienne, pourquoi mentent-ils ?

Le 8 février 2019 j’ai eu la curiosité d’aller entendre les arguments des anti-éoliens à l’occasion d’une conférence-débat. Elle était organisée par l’association « Argillières retrouvé et conservé – ARC » dans ce petit village de Haute-Saône. Celle-ci s’oppose au projet de six éoliennes porté par Valeco sur leur commune, l’enquête publique ayant eu lieu au mois de septembre précédent.

La star de la soirée était Michel De Broissia, châtelain aristocrate à Champagne sur Vingeanne (21) à 36 kms d’ici et dont il est maire. En tant que président de ACBFC (collectif qui regroupe les associations anti-éoliennes de Bourgogne-Franche-Comté), il avait pour mission de répondre à la question « Eoliennes : stop ou encore ? » … vous avez déjà deviné la réponse, n’est-ce pas ?

Il a usé d’une rafale d’arguments et j’ai pu tant bien que mal exposer une vision différente pour certains de ceux-ci. Par contre je suis resté scotché quand il a asséné l’argument suivant que j’entendais pour la première fois : « … en fin de vie du parc les industriels se volatilisent et laissent au propriétaire du terrain une ardoise pour la déconstruction de 300 à 500 000 euros par éolienne. Pour preuve, ce devis CARDEM à 413 k€ … ». Je suis intervenu simplement en disant « Je ne sais pas d’où sort ce devis, il m’étonne beaucoup mais semble officiel, je ne peux en dire plus pour l’instant mais je vais me renseigner pour comprendre ce chiffrage. »

Evidemment, sans même vérifier l’information et son contexte, ce type d’argument est repris aveuglément partout par tous les anti : le « journaliste » Frédéric Thévenin dans le JHM du 05/10/2019, M. René Méchet, maire de Chassigny (52) dans le JHM du 24/2/20, M. André président d’une association d’anti à Blumeray et plein d’autres ici en Haute-Marne et partout ailleurs en France.

Compte tenu du défilement rapide des diapos projetées par le « conférencier », je n’ai bien entendu pas eu le temps de lire à la ligne n°5 le terme « charges explosives » qui m’aurait déjà un peu alerté parce qu’une déconstruction d’éolienne ne fait a priori pas à appel aux explosifs.

Quelle est la réalité ? Ce devis correspond à un cas exceptionnel. Début janvier 2014 la nacelle d’une éolienne ardennaise prend feu et altère sa structure métallique. La déconstruction classique est inenvisageable, il faut sans tarder dynamiter le mât, les prestataires potentiels pour cette « première nationale » sont rares, les devis flambent. Et qui dit devis ne dit pas prix réel puisque bien entendu il y a eu des tractations et Cardem reconnait que la facture, même si elle a été élevée, n’a pas été de ce montant. La société avoue avoir un peu honte de voir l’usage qui est fait encore aujourd’hui de ce devis par les opposants malhonnêtes. Elle précise en outre que la facture a bien été réglée par l’exploitant éolien.

ANTHENY (08). Une éolienne prend feu – L’UNION le 9/01/2014 à 20:05  

Depuis environ 19 heures ce soir, une éolienne est en feu près d’Antheny, entre Auvillers-les-Forges et Rumigny.

Pour l’instant, les pompiers ne peuvent pas intervenir, étant donné que le feu a pris au sommet de la structure, à plusieurs dizaines de mètres du sol. En attendant l’arrivée d’un responsable du parc éolien, ils mettent en place un périmètre de sécurité. Prudence si vous circulez dans le secteur, il est formellement recommandé de s’éloigner du sinistre.

Vidéo de L’UNION

« C’est une première nationale. Ce mardi en fin de matinée, sur la commune d’Antheny dans l’arrondissement de Charleville-Mézières, la société Cardem Démolition a procédé au démantèlement d’une éolienne par basculement à l’explosif.

L’équipement avait été fortement sinistrée après qu’un incendie s’était déclaré au niveau de sa nacelle le 9 janvier 2014.

L’opération de ce mardi a mobilisé 13 sapeurs-pompiers, 20 gendarmes, une trentaine de personnes de la société en charge du démantèlement ainsi que des experts d’ERDF, de GRTGaz et de la société propriétaire de l’éolienne. »

La responsabilité de la déconstruction

Maintenant, pour les gens honnêtes se posant la question du démontage des éoliennes, voici les vraies données. L’un des articles de la loi n° 2003-8 du 3 Janvier 2003 relative aux marchés du gaz et de l’électricité et au service public de l’énergie précise la responsabilité de l’exploitant de l’installation éolienne quant à son démantèlement (ou déconstruction) et la remise en état du site à la fin de l’exploitation.

Puis un arrêté, rappelant que l’exploitant éolien ou sa maison-mère doit « rendre le site éolien apte à retrouver sa destination antérieure », l’oblige, avant la mise en service, à constituer une garantie financière en vue de la déconstruction dans 20 voire 25 ans.

Cette règle est très peu répandue pour une activité économique : elle n’est pas critiquable, elle est même vertueuse et traduit une heureuse évolution des sensibilités environnementales y compris dans les « hautes sphères » du pouvoir. Mais pourquoi ce principe n’est-il pas généralisé à toute activité industrielle et agricole ?

Déconstruction et non pas démolition

Une démolition « brutale » laisse très peu de place au réemploi, à la réutilisation des multiples composants de l’éolienne. Déconstruire est par contre une approche « civilisée » de la fin de vie d’un objet, ici d’un aérogénérateur. L’exploitant enchaîne les phases de la déconstruction selon un ordre, un processus exactement inverse de l’érection initiale : on retrouve au sol chacune des trois pales, le moyeu du rotor, la nacelle, les quatre à six tronçons du mât. Puis il s’attache à valoriser toutes les pièces et matières vers le réemploi ou le recyclage.

Oui à ce jour les pales (qui ont subi vaillamment pendant une vingtaine d’années les assauts du dieu Eole) ont pour principale destination l’enfouissement, tout comme ces mêmes matériaux qu’utilisent en quantité bien plus considérable les industries nautique, automobile, du bâtiment, … Toutefois dans les pays anglo-saxons les designers, les architectes paysagistes sont mis à contribution pour concevoir leurs objets avec des tronçons de pales : aires publiques de jeux, mobiliers urbains, abris à multiples fonctions, …

Enfin l’échéance n’est plus si lointaine où les fabricants de résines et autres matériaux composites vont proposer des formulations chimiques financièrement et techniquement performantes qui pourront être recyclées. Promis, l’échelle de temps n’est pas ici la dizaine de milliers d’années comme c’est le cas pour les déchets radioactifs.

La déconstruction de toute la partie visible de l’éolienne est quasiment un jeu d’enfant, d’autant que les composants n’ont pas été pollués par leur vingtaine d’années de vie.

Oui mais les fondations en béton armé ?

Nécessairement, pour garantir la sécurité de ces machines face au vent, il faut prévoir dans le sol un ancrage massif de grandes dimensions et fort tonnage : retenons pour ordre de grandeur que le socle béton d’une éolienne de 3 MW représente un volume de 400 m3, soit 800 tonnes de béton armé. Ne pas perdre de vue toutefois que le béton est considéré matériau inerte, c’est-à-dire qu’il ne pollue pas le sol. La principale précaution lors du choix d’implantation d’un parc est de veiller à ce que ces volumineux massifs ne perturbent pas la circulation des eaux souterraines et les captages d’eau potable. Et en fin de vie, bien qu’inerte, il est en effet préférable d’enlever tous ces massifs de béton (question tout de même : pourquoi cette prévention ne s’applique-t-elle pas aux blockhaus de la Deuxième Guerre Mondiale ?).

à droite, la démolition d’une fondation d’éolienne à Criel-sur-Mer (76)

Le Décret n° 2011-985 du 23 août 2011 pris pour l’application de l’article L. 553-3 du code de l’environnement et l’arrêté du 26 août 2011 relatif à la remise en état et à la constitution des garanties financières pour les éoliennes stipulent que, lors de la déconstruction, les fondations doivent être excavées jusqu’à 2 m de profondeur pour les terrains forestiers, 1 m pour les terrains agricoles et 30 cm pour les terrains rocailleux non agricoles. Et depuis 2003 la garantie financière à constituer avant la mise en service est de 50 000 euros par éolienne.

Un nouvel arrêté le 22 juin 2020 fait évoluer diverses règles à propos des fermes éoliennes, notamment pour le démantèlement des aérogénérateurs.

Ainsi l’article 20 alinéa 2 impose « l’excavation de la totalité des fondations, jusqu’à la base de leur semelle, à l’exception des éventuels pieux. Par dérogation, la partie inférieure des fondations peut être maintenue dans le sol sur la base d’une étude adressée au préfet démontrant que le bilan environnemental du décaissement total est défavorable, sans que la profondeur excavée ne puisse être inférieure à 2 mètres dans les terrains à usage forestier au titre du document d’urbanisme opposable et 1 m dans les autres cas. Les fondations excavées sont remplacées par des terres de caractéristiques comparables aux terres en place à proximité de l’installation ». Et l’alinéa 3 de ce même article introduit des pourcentages minimaux de la masse totale qui doit être réutilisée ou recyclée : au 1er juillet 2020 c’est au moins 90% et à partir du 1er janvier 2024 ce sera au moins 95%.

En outre, par arrêté du 19 décembre 2021, la garantie financière est relevée à 50 k€ par éolienne plus 10 k€ par MW au-delà du deuxième MW : par exemple pour une éolienne de 3,5 MW la garantie est de 50 000 + 10 000 x (3,5 – 2) = 50 000 + 10 000 x 1,5 = 65 000 Euros. L’exploitant doit actualiser tous les cinq ans le montant de la garantie financière conformément à la formule jointe en annexe du décret.

Mais environ 60 k€, est-ce bien suffisant ?

Voici une question qu’elle est bonne, merci de l’avoir posé et de vous soucier des exploitants éoliens et de leurs éventuelles difficultés à régler l’addition dans vingt ans.

Je rappelle tout de même que le travail de déconstruction d’une éolienne est l’exact inverse de ce qu’a été l’érection de celle-ci. Vous admettrez, je l’espère sans difficultés, que les professionnels connaissent le coût d’une érection : eh bien le coût de la déconstruction est dans les mêmes ordres de grandeur, ils parlent de 120 à 150 k€ par éolienne. Et compte tenu de la valorisation des matériaux recyclés ou réutilisés, ils valident que le coût net d’un tel chantier est de 50 à 70 k€.

Il est vrai qu’en France ils n’ont pas encore eu beaucoup d’occasions de conduire de tels chantiers. Mais ce n’est pas parce que l’on nous a fait croire que le nuage radioactif de Tchernobyl n’avait pas franchi le Rhin que nous devons croire impossible d’aller voir outre-Rhin comment se pratique à grande échelle la déconstruction.

Nos voisins allemands ont déjà déconstruit environ 3000 MW, soit au moins 2000 éoliennes : l’échantillon est suffisamment représentatif pour avoir établi un protocole technique efficace, pour établir des coûts de chantier … et par conséquent pour que nos professionnels français s’y réfèrent. Par contre ne leur demandez pas de mettre sur la table toutes les factures : dans votre propre business, mettez-vous sur la place publique vos coûts de transaction, les salaires du patron, … ?

La filière éolienne s’est efforcée dès son émergence d’être vertueuse, peu d’autres secteurs peuvent prétendre au même constat.

Par exemple le démantèlement d’un réacteur nucléaire dure 20 ans minimum (quoique même les ingénieurs EDF n’en savent rien) et ne résout en rien la radioactivité de ses déchets, que nul n’en connaît vraiment le coût, que les provisions d’EDF pour financer l’agonie des centrales sont notoirement dérisoires : il est vrai qu’elle mise sur le coup de main « herculéen » des contribuables.

C’est le même problème avec l’agriculture industrielle pour laquelle par exemple nous ne connaissons pas le coût de réhabilitation des terres agricoles appauvries et des nappes phréatiques souillées.

Il y a béton et béton …

 

Actuellement il est installé en France environ 1600 MW éolien par an. En considérant que le socle d’une éolienne de 3 MW nécessite 800 tonnes de béton, la consommation totale annuelle est de 0,5 millions de tonnes.

En fin de vie ce béton est un déchet INERTE, utilisable par ex en tant que remblais.

L’EPR de Flamanville (1600 MW), c’est 0,4 millions de tonnes de béton (source Andra-Cigeo) … et un démarrage encore hypothétique.

En fin de vie ce béton est un déchet IRRADIE, pour lequel nous n’avons AUCUNE solution raisonnable.

Pour la poubelle nucléaire en projet à BURE-SAUDRON, il est prévu une consommation de 6 millions de tonnes de béton (source Andra-Cigeo).

En fin de vie ce béton est un déchet IRRADIE, pour lequel nous n’avons AUCUNE solution raisonnable.

Pour en terminer sur ce thème, revenons à notre fameux couple de comiques haut-marnais, Remouit/Ricour.

Lors de l’enquête publique début 2019 pour le parc éolien des Limodores entre Bologne et Viéville (52), ils ont à nouveau versé une contribution pour expliquer leurs certitudes d’insincérité des exploitants lors de la déconstruction.

Le commissaire-enquêteur, M. Bernard RORET, rédige le commentaire suivant dans son rapport : « Il semble encore une fois mettre en doute la probité du maître d’ouvrage. Les modalités de remise en état ; elles sont fixées par Arrêté. La constitution des garanties financières ; elle est fixée par le Code de l’environnement (R 515). Le coût forfaitaire de démolition ; il est fixé par Arrêté à 50.000 € et ne comprend pas le bénéfice lié au recyclage de l’éolienne. Il n’est pas serein à mettre sans cesse en doute telle ou telle entreprise sous prétexte que l’on n’est pas d’accord avec son projet. Il y a des lois et règlements et les services de l’Etat sont là pour veiller à la stricte application de ces textes. »

CONCLUSION … empruntée à SER et FEE

L’une des cartes postales conçue il y a une dizaine d’années par le SER – Syndicat des Energies Renouvelables – et par la FEE – France Energie Eolienne

Le Repowering, une deuxième vie pour la ferme éolienne

A ce jour en France très peu de fermes éoliennes ont été renouvelées puisque les débuts de cette belle énergie renouvelable sur notre territoire datent de moins de vingt ans. Toutefois les premiers contrats d’Obligation d’Achat conclus sur une période de quinze années arrivent maintenant à terme avec la question pour le propriétaire et l’exploitant du parc : « que faire au-delà de la quinzième année ? ». Le schéma ci-dessous illustre les différentes réponses possibles.

La poursuite de l’exploitation après les quinze premières années, même sans bénéficier du dispositif « Obligation d’Achat », est envisageable puisque les aérogénérateurs ont des durées de vie de l’ordre de 20 à 25 ans. Néanmoins les machines actuelles bénéficient de technologies bien plus performantes que sur les anciennes, celles-ci requérant en outre des charges de maintenance bien souvent lourdes : les professionnels peuvent alors choisir d’anticiper la fin de vie du parc existant … et réfléchir à un renouvellement (« repowering » selon le vocabulaire couramment utilisé).

Le renouvellement n’est toutefois pas systématique puisqu’il peut être jugé impossible ou non pertinent pour des raisons techniques ou économiques. « La modification du contexte réglementaire et l’instauration progressive de règles de développement de l’éolien (e.g. règles de distance aux habitations / nuisances sonores / Natura 2000 / radar / patrimoine / paysage / aéronautique) ont conduit à l’exclusion de certaines zones propices après installation de parcs. Ainsi, on observe en Allemagne notamment – et on anticipe en France – qu’une portion significative des parcs pourraient ne pas se voir accorder de nouvelles autorisations dans le cas de renouvellements substantiels ou être soumis à un renouvellement à l’identique ou quasi-identique. »

Si le renouvellement est possible et souhaité, alors il peut n’être que « quasi-identique ». Si les marges de manœuvre sont plus grandes, il sera soit « limité en hauteur » soit « non plafonné ».

Quoi qu’il en soit le renouvellement des parcs après 15 à 20 ans de service constitue un enjeu non négligeable au cours des dix années à venir pour l’atteinte des objectifs EnR en France. En combinant diverses hypothèses de rentabilité économique, de contraintes de développement et d’évolutions techniques, l’étude ci-dessous évalue qu’un renouvellement sélectif du parc actuel apporterait un gain de puissance de l’ordre de 10% tandis que la production annuelle s’accroitrait d’environ 40 %.  

Je vous invite par ailleurs à lire l’ensemble de cette étude : elle vous apportera de très riches informations sur la déconstruction d’une ferme éolienne, sur la réutilisation ou le recyclage des divers composants d’une éolienne, sur les équilibres économiques des différentes options. Également des éclairages très documentés sur les pratiques des principaux pays de l’Europe de l’Ouest.